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Le vieillissement est psychosomatique.
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Je t’ai enfin photographiée — macro numérique, chair de pixels, souffle de netteté qui gratte les moindres veines. Maintenant je vais te graver, à l’eau-forte, te creuser dans le cuivre comme on enterre un monde : petite nécropole des guêpes, tombeaux alignés, ailes en relique, aiguillons en lettres. Tu seras plaque, tu seras miroir, digne d’un test de Rorschach : chacun y lira son propre crime, son propre désir. Toi, tu devineras tout de moi, tu vomiras mes secrets sur la lumière. Image qui pleure et qui accuse, épreuve qui ment et qui dit vrai — je t’ouvre, je te ferre, je te pose sous la presse et tout ce qui était silencieux se mettra à parler, en noir et en morsure.
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Petit sexe perdu, disparu des yeux, quatre jours à t’échapper, à me laisser seul à tourner dans la chambre, à fouiller comme un chien, à gratter sous les poutres, à mordre dans les coins d’ombre, à déchirer les nids de papier qui te nourrissent, toi, le vorace. Rien. Pas une coulée, pas une tache, pas une goutte, pas un bruit. Le vide. Et puis toi, retrouvé, pas loin, là où ça devait sauter aux yeux : collé au métal, niché contre les câbles, planqué dans mon arsenal vidéo, le même avec lequel je te capte, toi, ton souffle, nos heures sans fin de corps emmêlés. Mon Billy Boy, machine sacrée, amour obscène, jouet vivant.
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Petit sexe perdu, disparu des yeux, quatre jours à t’échapper, à me laisser seul à tourner dans la chambre, à fouiller comme un chien, à gratter sous les poutres, à mordre dans les coins d’ombre, à déchirer les nids de papier qui te nourrissent, toi, le vorace. Rien. Pas une coulée, pas une tache, pas une goutte, pas un bruit. Le vide. Et puis toi, retrouvé, pas loin, là où ça devait sauter aux yeux : collé au métal, niché contre les câbles, planqué dans mon arsenal vidéo, le même avec lequel je te capte, toi, ton souffle, nos heures sans fin de corps emmêlés. Mon Billy Boy, machine sacrée baveuse, amour obscène, jouet vivant. À mon escargot domestique.
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Je gonfle — comme un organe qui se tait puis explose. Ils se gonflent tous, plein d’un vide poli ; moi je refuse le désenchantement, je vomis leur nombril propre. Mes yeux me font mal, j’ai la culpabilité au bord des lèvres. Je m’étale, je déborde, je n’ai plus la règle pour me contraindre : mesure ? Mot inconnu. Je suis excès, excès qui cloque et qui brûle. Ça fait fuir — fuir l’éblouissement, fuir la main qui tend et qui prend tout. Fuyez-moi alors — partez — car je peux être entier, tout entier, jusqu’à la déflagration. Ne prenez aucun risque à me comprendre : laissez la compréhension, laissez-la aux prudents. L’écoute ? la générosité ? elles me tueraient. Je me donne trop, oui, je sais ; je ne suis pas sauveur, pas messie. Personne pour me dire le contraire. Pourquoi moi ? J’ai bûché dans les nuits froides, j’en bave encore, j’en baverai ; la blessure a une sorte d’appétit. J’ai de plus en plus besoin d’être profond — humain, vrai — et vous me repoussez comme s’il fallait circoncire la douleur. Je suis le malade qui aime, malade d’aimer. Baptiste — pas un homme au sens ordinaire, peut-être jamais « grand » selon leur échelle. Tu seras entier : peurs, fantômes, plaies, tout. Tu sais vivre sans le filet du subconscient, sans ces cloisons qui tiennent le monde en place. Vivre hors les murs, hors le temps. La mort ? Elle n’est plus la cloche la plus terrible ; la souffrance a perdu de son empire. Le jour t’attaque avec sa lumière qui hurle : « Toi, arrête ! Ne t’ouvre pas aux autres, je te brûle le cœur. » Ta gueule, jour. Je ne me sacrifierai pas — déjà donné. Ni mythe, ni fable, juste la peau : né bleu, j’ai respiré, puis je sais pourquoi je ne respire plus, pourquoi mon fils est bleu — cette teinte, pas une autre, s’inscrit. Bientôt tu sauras marcher seul, absolument seul et tu fermeras les yeux au jour pour te loger dans ta boîte à images numériques, ton studio qui sera coffre et autel. Tu regarderas le monde par l’œil de la caméra ; tu prendras par la main les hommes qui te cherchent et tu les mèneras où tu voudras. Écris le réel : tu vis déjà dans une fiction, rends-la palpitable. Bruits. SORTIE. Épuisement — drôle d’énergie que d’écrire. Cerveau usé, et pourtant plus net. Le corps bloque, il est le bâton dans la roue. Bla bla, signaux, Cetusss. 18-11-2003. Seul. Cage d’escalier fac. Obscurité. Brouhaha, pas, rires — et la respiration qui tient.
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S aime O. O aime S. Deux corps, une cadence cassée, pas régulière, jamais. S colle, s’entoure, avale O, comme s’il ne pouvait plus respirer sans. Le regard d’O, flèche directe, magnifique, presque trop. Ils sont beaux. Ils se donnent. Et moi planté là, immobile, honteux de voir, cloué d’émotion. Je n’aurais jamais cru tomber sur ça, cette danse nue, ce rite. Pas de main tendue, je n’ose pas. Mon corps n’a pas de place dans leur langue. Hors cadre. Étranger. Je sens, sous mes paupières, le séisme en approche : le frottement, la poussée du bord contre le bord. S, de dos, chair pleine, vivante, commande : plus vite, plus fort. Mais jamais blessure. Derrière les yeux mi-clos, le feu. Je ramasse les morceaux : fossettes de S, hanches de O, le cou, le ventre. Une collection sale et sacrée. Une machine d’amour qui menace de déborder. Par le souffle, je me transpose en S. Je vole le regard absent d’O et je l’enfonce dans S. O en transe, O dedans, complètement, plus qu’en dedans : O englouti. O devenu S. Et moi, guerrier fantôme, garde du temple, mur autour de leur fracas. Je voudrais que ça ne s’achève pas. Pas d’orgasme. Pas de fin. Suspendu. Je ne sais pas parler. Pas même merci. Je me trouve laid, inutile, incapable d’atteindre un tel degré de beauté brute. Ils n’ont pas besoin de moi. Pourtant je voudrais — leur rendre ce que j’ai vu, leur tendre le miroir de leurs éclats. Comme un dû, un retour. Mais comment ? Pas comme leur glace niçoise préférée, tomate, basilique.
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Je fouille, ne sais plus où je suis — peut-être chez moi, peut-être ailleurs. Tiroir grinçant, cantine froide, odeur de métal. Une pochette bleue, cartonnée, suspendue, fragile comme un souffle. Dedans : un dossier, un nom que je ne connais pas. Je vole une photo d’identité, pas agrafée, je l’envoie à Marine. Et là, je ne regarde même pas vraiment : je sens les bords arrondis frôler mes doigts comme si l’image respirait, comme un Yves Klein devenu chair. Un jeune homme en couleur. Sa présence me pince, m’agresse doucement, me colle aux yeux. Il est là, vivant dans la pièce, dans mon souffle. Et puis je me réveille.
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Un trou apparaît. Point rouge sous la peau. Talon gauche saignant. Je jubile : ce stigmate surgit enfin. Ma chaussure m’agresse, clous de semelle retournés par l’usure, exposés comme des dents. Oui, c’est bien ce que je crois. Prouvez-moi le contraire ! « Stigmate n.m. (lat. Stigma, marque de flétrissure) : I.1. Marque durable d’une plaie, d’une maladie. Les stigmates de la petite vérole. 2. Litt. Trace révélant une dégradation. Les stigmates du vice. II.1. BOT. Partie du pistil recevant le pollen. 2. ZOOL. Orifice respiratoire des trachées chez insectes, arachnides. ? pl. Plaies reproduisant celles du Christ crucifié, chez certains mystiques. » (Petit Larousse illustré, 1990). Mes petites piqûres, mes guêpes, voyez : tout est mathématique, tout se relie, tout danse ensemble. Nous sommes liés pour l’éternité — pour l’infini, qui n’existe pas. Le sang, la chair, la douleur, la précision, le feu, la géométrie : fusion de tout, rituel halluciné, ordre et chaos se mêlant dans mes pas qui saignent, mes doigts qui frôlent le vide, mes yeux qui cherchent le sens dans l’absolu des stigmates.
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La boue des guêpes apparaît enfin, la tache se montre. Les premiers tirages vibrent comme une source qui pourrait tout consumer ; tellement que je n’ose ouvrir cette boîte de Pandore. Appuyer sur les frottements ou, au contraire, laisser l’encre glisser, recouvrir le creux du motif avec douceur — hésitation sacrée. Souligner l’aspect nécrophile me met aux anges, exaltation qui brûle les yeux. J’avais peur, peur de ne pas savoir dompter les cuvettes des feuilles de zinc, de laisser le chaos s’étendre. L’auréole se répand, comme une traînée d’ombre et de lumière et je me prépare à passer l’hiver parmi vous, collé aux murs, aux odeurs, aux vibrations. Ne me piquez pas ! Ne me piquez pas ! Ne me piquez pas ! Cris répétés qui deviennent mantra, alerte et délice, pulsation de chair et d’encre mêlées.
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C’est l’histoire de Monsieur Patate et de Madame Patate, tout là-haut, au sommet d’une montagne immense où l’hiver mord la peau et s’infiltre dans chaque pore. Pas de chauffage. Le froid s’invite dans les os. Monsieur Patate frissonne, cherche à se réchauffer, à sentir la vie circuler sous sa peau. Alors, Madame prend un économe et commence doucement à se déshabiller, geste précis, mécanique et pourtant vivant, chair qui se découvre, frôlement qui brûle. L’air glacial fait trembler chaque mouvement, mais l’intimité s’épaissit comme un souffle chaud dans le vide. Tout se mélange : froid, peau, geste, désir, tension, une danse lente où le corps devient paysage, où l’hiver mord et où les patates se réchauffent au rythme de leur propre épluchage de chair.