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J'abandonne une bouteille vide de vodka Bison sur le siège arrière de la voiture.
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J’embarque pour un bateau, celui que j’avais aperçu tout à l’heure dans la maison vide que j’ai filmée, rue du calvaire. Un grand voilier à trois mâts, impossible de savoir si j’en avais vu ailleurs qu’au cinéma, films de pirates ou armada à Rouen, peut-être. So anyway, anyway sonne mieux que bref, ça me va. Mon cœur bat en parallèle de mon corps, enthousiasmé par le vieux papier peint kitch, déchiré, crissant sous mes doigts. Je sais que je suis seul. J’ai appris à accepter la solitude, appris à ne pas remplacer les gens. Mais je manque de confiance en amour — est-ce que tout le monde est abîmé comme ça ? Enfance bizarre, mort d’une âme sœur. I’m a freak. J’en assume la totalité. Peut-être que c’est pour ça que j’aime les décalages. Peut-être que je suis homosexuel juste pour surprendre autrui, comme un mot caché derrière chaque page d’un roman génial. Dans ma vie, aujourd’hui, je rencontre un des personnages de mon livre « J.S.U.S. » : un dimanche près de Ben le chat, un mercredi près d’un prêtre bouddhiste. Et moi, seul dans cette maison vide, je me délecte de ses bruits, de sa chanson qui flotte dans l’air poussiéreux. Je scrute l’extérieur par la fente de la boîte aux lettres, mon œil tendu à la fissure du monde. Et je me demande si je vais prendre la succession de Pantalon Rouge — le monstre, la fameuse légende du village qu’on racontait aux enfants quand ils n’étaient pas sages.
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Monsieur Espace et Docteur Globulblanc partent en voyage dans le Sud. Le soleil promet de brûler doucement la peau, le vent de caresser leurs vêtements et leurs corps encore trop froids de l’hiver. Ils embarquent, tissent des plans flous entre la route et l’horizon, rêvent d’un air plus confortable qui traverse poumons et chairs. Tout est anticipation, excitation sourde, désir d’espace, d’espace infini, de souffle. Le départ devient corps, geste — une mise en mouvement du monde qui les suit sans qu’ils le sentent vraiment, mais qui les transforme déjà.
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Je suis alerté par le choc d’une balle de tennis frappant une vitre du couloir. Je décide de sortir la ramasser, la nuit est déjà avancée. J’entends un homme s’acharner contre de pauvres balles, les rebonds se perdant contre le grillage neuf du terrain de tennis à quelques mètres de la maison, rue de la Cafetière Bouillante. Je cours dans le jardin, ramasse les balles, j’avale la troisième. Jaune fluorescent, presque agressif. Je me demande s’il viendra les chercher, s’il osera ouvrir la porte d’entrée du jardin en pleine nuit. La sixième balle en main, la nuit redevient le faible bruissement de l’autoroute. Le joueur en colère arrive, vêtu pour la finale de Roland Garros. Il ouvre la porte « chien de garde », la laisse ouverte, s’avance dans le parc. Je le surprends, il ne s’attendait pas à me trouver là, debout, bras et gosier chargés de ses balles. Athlète aux yeux marron presque transparents, beauté qui recule sous ma charge, derrière la porte. Je ne lui explique pas qu’il pourrait réveiller mes parents, je le rassure, je lui demande combien de balles il a. Sept. Il explique qu’il a laissé la dernière sur le terrain au cas où les autres auraient été perdues. J’ai envie de lui attraper la tête par-dessus la porte métallique et de l’embrasser. Je me retourne, remets le coussin sur ma tête, m’inquiète de l’heure. Je fais preuve d’un courage héroïque en allant aux toilettes pour écrire ce rêve ici. Je vais me recoucher. Je ne comprends pas pourquoi mon cerveau invente cette histoire de tennis. Je déteste ça, le tennis.
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Je suis le suivant. Brian attend dehors. Quelqu’un lui dit qu’il reste une place à l’intérieur, que la cérémonie touche à sa fin. L’initiation a commencé en ce début d’après-midi américain. La mélodie au piano s’achève, je me relève des genoux de la vieille aveugle recouverte d’abeilles. Les dernières notes résonnent encore dans la pièce bondée, cloches tibétaines suspendues au temps. Je comprends seulement maintenant : je vais être le successeur du porteur de la ruche. La vieille dame recule. Je reste à attendre que les premiers insectes se posent sur mes cheveux. Le reste de la ruche dort dans la pendule, bourdonnements accumulés comme un moteur de bateau. Je m’allonge, torse nu sur mon lit, braguette de jeans ouverte, bouche qui bâille. Aucune pression. Démie, ma femme-chatte, s’étend près de moi ; déjà quelques abeilles se posent dans ses poils. Prévenu : aucun geste brusque, ne pas se défendre contre les piqûres, laisser les abeilles s’habituer à ma peau, à mon rythme, aux différences sensibles. Le soleil se couche, la ruche est sur moi. Je me concentre, immobilisé, torse nu, tout le corps offert. Je sens chaque patte, chaque centimètre de peau, les aventurières dans les plis, les potentielles attaqueuses, celles qui tentent de me retourner pour goûter mon dos. Je ne bouge pas. Cloué depuis des heures. Elles grattent, déposent quelque chose dans mes poils : des œufs. Je deviens leur ruche. Démie ronronne, insouciante, malgré les œufs sur sa fourrure, malgré les piqûres potentielles. Elle se détend sur mon ventre, s’étale en un long câlin, coinçant des dizaines d’abeilles entre nos abdomens. Je suis pétrifié, aucun dard ne me touche, j’imagine que c’est elle qui souffre. Oh non ! Il me faut un temps infini pour comprendre que ce n’est qu’un rêve. Les yeux ouverts sur les premiers rayons du soleil, je scanne mon corps, à la recherche d’une moindre présence ailée. Quel cauchemar ! Quel bonheur !
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Candyman, Candyman, Candyman. L’appellation répétée devient écho dans la tête, tremblement dans la poitrine, rythme de doigts qui tapent, bouches qui chuchotent, peau qui frissonne. Je l’invoque et tout autour devient sucré et gluant, un mélange de miel et de peur, de désir et d’ombre. Chaque répétition déplace l’air, le temps, le corps. Candyman entre dans les coins, dans les plis hors des champs de vision, entre les pensées et la chair. Le son se fait vibration, presque chair lui-même, pulsation dans mes tempes. Candyman, Candyman, Candyman et le monde bascule : noir, doux, brûlant, mortel et sucré.
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Crois-tu qu’ils aient chopé le bon Saddam, je demande, et Loïc rit, hé hé, et si c’était le faux, qu’en diraient-ils à la télé, et ben oui, surtout, surtout si c’est le faux, pour que le vrai se montre, et si après, ils retrouvent vraiment le vrai, parleraient-ils ? Non, ils l’ont déjà trouvé une fois, ils ne vont pas casser le peu de confiance qu’on a en eux, il a l’air d’être le bon, je ne pense pas, trop facile, puisque le vrai est chez moi, hi hi hi, chut, « Il est chez Baptiste ! » CHUTTTTTTTTT, pour échelon, ils écoutent tout, surtout les textos, il en avait bien besoin, le pauvre vieux monsieur, de se faire raser, il prend son bain maintenant, non non il n’a pas de barbe le faux, oui, les roubignolles ? Ha ha, il m’apprend à parler arabe, Salam, Sadam… Satam, on peut en faire beaucoup, je lui dirai de ta part, il est très ouvert, il sait que je suis homo, il s’en fout, au contraire il s’en amuse, mais trop vieux pour moi, hi hi hi, une mouche s’est posée sur Saddam, il adore les moules frites de la région, sur mon écran, une mouche, a-t-il vu la cassette, oui, bon on en fera une copie tout à l’heure, je vais lui sauver la vie, envoie-la à CNN, lol, bon faut motiver Rachel, non, quand Saddam ne sera plus recherché, il pourra continuer à torturer dans son pays, son jeu favori, oui, couper des bras. Rachel m’a parlé d’aller tous à Bordeaux, mais Julie ne veut pas, et moi je n’ai plus une tune, elle m’a dit qu’on devait être particulièrement créatifs cette année, faut la motiver pour le combi, tu as raison, cette année 2004 ? C’est où le barycentre de nous quatre ? Année chinoise du singe, non du dromadaire, barycentre à Bourges, ascendant chameau, et j’en viens… Non Singe, j’en suis sûr, mieux que le Cantal, ils louchent tous à Bourges, problèmes de consanguinité, j’en mettrai ma main à couper, Saddam, jamais vu autant en si peu de temps, autruche ascendant fourmi, je suis hippocampe, ascendant ? Poisson et cheval ascendant cancer, cancer et ascendant chinois, je ne le connais pas, je dirai mule plutôt, mule ? Plutôt tatane dans ta tronche oui, ascendant macaque, ok ok, Hippocampe asc. Macro cellule, constellation de l’escargot bovin, 2 koi on tapait sérieux déjà ? mdr, moi je suis goldovache, cool, mes parents issus de la photosynthèse du poireau, constellation réputée, culture afro-japonaise, culture du légume sidéré, oui, a fortiori, sans prétendre traverser la ceinture brocolidoastéoridale, j’ai 25 ans, et quelques cucurbitacées au compteur, j’avoue mais moins que toi en une nuit de dunes, ! ^.^ ! arrête je lis dans des pensées prespursques, prespuresques, :/ pardon, je me déconnecte, voilà, tu ne lis plus mes pensées, pas grave, j’ai un moulinator Twx 2028 bx 13, je pourrai flairer le bruissement imperceptible de tes neurones viscomentaux, il est vieux depuis deux jours, tu n’as pas reçu le nouveau ? Non, seulement ceux de la périphérie grisale, dans ce cas tu auras besoin du module A, tout nouveau, nom très simple, du jamais vu, so fashion, informe-toi, mince alors, moi qui ne comprends que b+b, triple S, tu parles de la loi totalitaire de l’élasticité temporelle à but non lucratif, mais oui n’oublie pas la dicomultiplicité arbitraire de l’éliarque pluvieux, tu peux bipasser en mettant les conjonctions de la prise à l’inversement, alors là je scitoïze grave, ça ne te dérange pas que je copie-colle ce texte pour une lettre à notre Julibellule commune ? Comment tu argouilles des zambrek pareils, ne t’en fais pas, je vais boire de l’H2O paramentholée, attention au décapsulage buco-lingal, tu as raison, je vais me méfier de la trahison plasticocirculaire, une exégeneze extoplasmique pourrait engrainer un flop magistral, je me suis vêtu en antialban aujourd’hui pour aller avec les typographies des bandes dessinées Maurice-et-Pataponniennes sans le jaune et le marron, ha, oh ! crois-tu que je puisse plagier AOL ? kes tu fuis là, pour mettre ce texte formidable en respectant l’anonymat indirect de ta pseudonomination intrinsèque, mais évidemment sacremouche, suchi suchi ? Suchi yo ! je t’en renvoie mes sincères politudes affranchies, D ! Attention aux éclats incontrôlés des brillants mitrés, D, K, efcuve, ve fui enrubé… mais ne t’aventure plus dans le périphérique monométré de ma cavité osseuse interne :::: s’il te plaît, oupsi ! je ne voulais juste électiziter ton organouz, dans-l-cul anyway, ploti plota, le voili dans le crakatoa, bon je tronquerai plus tôt, il y a perte en matière griso-langagiale… viscosix mentalis, ne m’insulte pas, Loïc !
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Ça y est, je suis infecté, des litres, non des torrents, bavés de mes amygdales coulent dans mes poumons par cette passoire de chair que forment mes cordes vocales, je veux écrire mais ma température, elle, décide autrement. « Va te coucher ! Va au lit ! » me hurle-t-elle dans le crâne, vais-je me contenter d’une pastille, court répit, le portable, je le fixe : mort, je crie I need a nurse, mais je reste seul, seul dans ma chambre, mon propre tombeau, mais qu’est-ce que je fous là, ce n’est pas un journal intime, pas vraiment, ou peut-être que si, ou peut-être que je suis déjà dedans, à narrer les gens qui louchent, le mouchoir saturé de sang, le bateau BN parti en mer, et Hélène Didier, télé-présentatrice de TF1, comme si tout ça pouvait se tenir, flotter, exister, je veux que les phrases se mêlent au souffle qui me brûle, au feu qui me traverse, aux microbes et aux images qui dégueulent dans mes yeux, la sueur, le sel, la fièvre qui tord mes doigts sur le clavier, qui tord ma langue, je voudrais que tout se renverse, que tout se vomisse et que je sois dedans et dehors et malade et vivant et mort, incapable de poser un mot sans qu’il ne saigne ou qu’il ne brûle, je fixe encore mon téléphone : il reste mort et moi je reste, seul et infecté, à narrer ce monde qui tangue, qui saigne, qui rit et qui crie et je ne sais plus si c’est moi ou eux ou Hélène Didier qui parle et le bateau qui part et le mouchoir qui sature et je tombe, je tombe, je tombe…
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Nous sommes dans le petit hall, cour de l’École des Beaux-arts de Bourges, trois touristes passent à dix mètres, l’une d’elles me plonge un regard terrifié, elle a entendu le cri, avant l’image, le cri de l’œuvre vidéo Le verger de Tania Mouraud, le son avant tout, nous entrons dans La Box, irrémédiablement attirés par ce grondement, les images à l’entrée ne comptent pas, bougeant juste pour meubler, nous sommes comme des insectes collés à l’ampoule, nous enfonçons dans la pièce obscure, le bruit nous agresse, me frappe, fait partie de la vidéo et en même temps m’écrase, la représentation sucrée prend tout le mur, les fleurs des arbres fruitiers, et puis il y a les images de guerre qui parasitent, oui, mais moins que le son, alors quoi ? Le poids est ailleurs, le son ou les images qui n’ont pas leur place, je veux fuir et crier, je pense à la petite femme au chapeau et aux lunettes de soleil, cette dernière dame droite comme un « i », promenant ses petits chiens dans mon village, mes sœurs et moi fredonnions le thème de James Bond en la voyant, plus tard je l’ai vue mourir à l’hôpital, cancer des poumons, balayée en un mois, trop de fumée, trop de vie, et moi ici, pris dans le cri du verger, l’avant-garde proclamée est-elle avant-garde ou fantasme pathétique d’éternelle jeunesse, le verger hurle, je ne remarque même plus l’œuvre d’entrée, les casques accrochés au mur sont inefficaces, le son est trop faible, le port du casque devient dangereux, Tania Mouraud a réussi : je sors dans la rue en criant, le monde est violent, pourquoi nous raconter la poésie de la guerre, coup de gueule, augmenter le son tue la vidéo et étouffe le voisinage, La Curée est plus subtile, projection sur plasma collé à la vitre, tournée vers l’extérieur, visible depuis la rue, silencieuse, un plan rapproché mouvant d’une meute de chiens de chasse à courre du Berry, image presque abstraite, numérique, picturale, et le reflet de la ville derrière nous déforme tout, brouille et confond, la rue, la vitrine, la vidéo et moi, tout se fond dans un flux mouvant, agressif, séduisant et violent, comme un cri qui ne cesse jamais. J’ai rencontré Tania quelques années plus tard en 2010 et lui ai parlé de cette expérience agressive. Elle m’a expliqué le cri, la douleur. Cette femme est une artiste extraordinaire.
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De Bourges, je n'ai pas ramené des gens qui louchent mais des morpions ! Des morpions de Bourges !