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Un bruit de bombe, non pas « Boum ! » mais « Pchhhit ! » et ma mère désinfecte tout, chaque recoin que je fréquente dans la maison, bombe spéciale, anti-guêpes ? Non, anti-morpions, aurais-je dû me taire ? Mes draps tournent à la machine, mon caleçon à la poubelle avec mon dernier slip, les serviettes de bain attendent, étouffées dans leur sac plastique, en vue d’une place dans la machine à laver et mes testicules brûlent du « Pchhhit ! » auquel je n’ai pu échapper. Chaque démangeaison suspectée d’être un retour des petits crabes couleur chair, putain, quelle honte. Mais mille fois j’aurais préféré qu’une ruche de guêpes me tombe dessus, qu’elles s’acharnent sur ma peau, qu’elles percent mes chairs, qu’elles me fassent crier et saigner et sentir que je suis vivant, enfin vivant dans cette chaleur chimique, dans ce parfum de bombe et de peur, dans ce flux de « Pchhhit ! » qui me traverse et me consume de l’intérieur.
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« Usage d'un téléphone tenu en main par le conducteur d'un véhicule en circulation prévue par les arts. R 412-6-1 et réprimée par du R 412-6-1 du C.R. » (Agent Gavicastillo-Apta, Noël 2003)
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Je ris, je ris de ce message froid comme un frigo que tu m’envoies, ou que je reçois de ce monde qui clignote derrière l’écran, et toi, toi, quelque part, invisible mais si présent, comme une odeur de sueur dans un couloir vide. « I'm afraid I wasn't able to deliver your message to the following addresses. » Tes mots, nos mots, qui s’écrasent contre des murs invisibles, des adresses qui n’existent pas, des corps qui se dérobent à la caresse de nos doigts numériques. « This is a permanent error ; I've given up. » Et moi je sens le vide s’étirer dans mes bras, dans mes reins, la fatigue humide de l’abandon qui descend jusqu’à mes cuisses, et je pense à toi, à ce souffle que je n’attrape jamais, à ce rire qui claque dans mes oreilles et que je ne peux retenir. « Sorry it didn't work out. » Pardon ? Pardon à qui ? À ce message qui se meurt dans le froid, à toi que je ne peux atteindre, à moi qui attends encore le frisson de l’échec, l’extase de l’impossible. Je touche l’écran comme je toucherais ton corps, et le message tremble, et je tremble. Le Mailer Daemon a gagné, mais moi je ris encore, tremblant et nu et je te cherche dans chaque pixel.
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Est-il utile de dire que je suis fasciné par les plans de travail, par cette surface, ce froid, ce poli qui réfléchit ma paume comme un miroir tremblant ? Je ne comprends pas cette obsession, je ne sais pas comment elle est venue, peut-être glissée dans un souffle, un regard, un instant que j’ai volé sans le vouloir. Utiliser le support pictural comme plan de travail, le toucher, l’incliner, le plier sous mes mains et me demander pourquoi je fais ça, toujours trop de questions, trop de vide entre elles, trop de désir de remplir ce vide. Exposer les lieux où il s’est passé quelque chose, chaque tache, chaque trace, le temps qui s’écoule comme un battement, et surtout, surtout, le travail, la sueur qui y reste accrochée, comme une odeur de corps oublié. Je trouve ça « trip hop », et je ne sais pas pourquoi, peut-être le rythme de mon propre corps, un souffle qui claque dans ma poitrine. Et soudain, la voix de DJ-Vince, tranchante, qui me traverse la tête : sur la liste noire des arts du Douaisis. Et moi qui ris, tremble, ne sais plus si c’est le corps ou le monde qui me rejette ou simplement moi, simplement ce désir, ce frisson que je ne peux contenir.
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Robert Morris, White Nights. De mémoires au Fresnoy. Studio national des arts contemporains. Le labyrinthe n’est qu’un lieu où l’on se perd et je me perds dans mes pensées, dans la peau de spectateur qu’on m’impose. L’audace d’un large espace pour cette seule pièce me frappe mais me laisse maigre face aux propos qu’elle prétend porter. La rotation du système de projection tourne, amuse, mais ne touche pas ma chair. Je n’ai pas vécu l’occupation allemande, je ne feindrai pas la connaître, par respect pour ceux qui l’ont subie, la brûlure qu’ils ont portée dans leur corps. Pourquoi cette œuvre existe-t-elle ? Le travail de l’artiste se lit seulement dans la contrainte des déplacements, une contrainte douce, presque caresse qui guide mes pas. Une vidéo, un Monsieur Morris qui traverse des espaces extérieurs en serrant un miroir contre lui, contre lui et face à moi et je sens le reflet qui me touche, qui joue avec ma perception. La rotation de la vidéo, oui, elle me donne vaguement le vertige d’un espace, d’un volume que je peux presque habiter. Mais les diaporamas, non, rien. Pourquoi devrais-je sentir la contrainte d’un passé qui n’est pas le mien ? Pas le sien non plus, né dans le Missouri en 1931. Europe, Lyon, côte européenne, tout cela flotte autour de moi comme des spectres que je ne peux habiter. Même absorbé par le passé militaro-occupé de Lyon, je n’aurais pas pu une immersion totale : les rideaux blancs n’atteignent jamais le haut, je touche le plafond, je touche le réel. Du premier étage, je fais le tour de l’installation, j’en maîtrise les bords, et seulement là le labyrinthe se révèle, icône fragile qui se met à trembler sous mes yeux. Je peux relier le lieu, la contrainte spatiale, à un passé immédiat que je sens sous ma peau. Et cette citation nazie, là, qui tombe, qui appauvrit, qui trahit l’expérience sensuelle, charnelle, que cette installation aurait pu transmettre, et je reste seul, avec mes pas, mes yeux, mon souffle.
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Chris Marker, Silent Movie. De mémoires au Fresnoy. Studio national des arts contemporains. Cette pièce est un totem, je le sens, je le touche du regard, mais est-ce seulement la superposition de cinq moniteurs qui lui donne ce poids ? Une télévision seule, éteinte, tient déjà un fragment d’identité, une ombre qui parle. Comment comprendre une œuvre ici, dans ce lieu de passage, quand elle devient esclave des aléas de nos regards trop courts, trop pressés ? En regardant les moniteurs ensemble, je me perds, je ne sais plus quel sujet appartient à quel écran, et est-ce grave ? Peut-être pas. Car Silent Movie offre une intimité fragile, unique, un croisement d’images qui se fondent sous mes yeux, une combinaison que je porte seule, unique, éphémère, puisque les durées ne se synchronisent jamais. Et pourtant, malgré cette vulnérabilité, l’œuvre reste discrète, retenue, comme si elle savait que sa force n’a pas besoin de hurler. Peut-être l’incompréhension naît-elle de la coupure avec La Jetée, ce lien indispensable qui révélerait le futur pessimiste, la tension sous-jacente entre le rôle totémique de Silent Movie et sa lecture crue de notre monde. Je comprends alors sa discrétion, sa valeur de bombe silencieuse, sa nécessité de rester cachée, terroriste douce et invisible. Et je sens, je mesure, que cette œuvre existe partout, en tout lieu, simplement par sa présence, par l’évidence de ce souffle qu’elle pose dans l’air, qui m’habite, qui m’empoigne, qui me traverse et ne me lâche pas.
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Salut p’tit pouce, salut, euh… le format .mim, tu connais ? Je ne comprends rien à ton mail sur l’assemblée, des paragraphes qui s’emmêlent, je ne vois pas le problème, il n’y a plus de frontières, hébergement ailleurs qu’en France, internet coule libre et ma tête fait mal, trop de journée de fou, trop de mails. Le téléphone n’est pas confidentiel, alors les mails ! Ça va créer des emplois, parce qu’il y en a des tonnes, et quand ils tomberont sur les miens… je vais rire. Filtrer le courrier, normal ? Si ça empêche le viagra, je suis pour, trop de bordel, la masse a besoin d’un papa. Mon logiciel fait le tri, je paye pour ça, 25 € par mois pour un net propre, mais moi je ne télécharge pas, je veux payer les artistes, je me révolte contre la loi qui casse la vie pour un .mp3, contre les majors, contre le capital, contre le vol légal et pourtant je ris, parce que tout le monde s’en fout, chacun dans son coin, autocensure, autocensure, autocensure. Je parle de Starck, de Sade, des Rolling Stones, des feux de l’amour, je parle de cire et de chocolat, des singes et des escargots, je parle de la France devenue un terrain vide pour moi, je parle de Carole Bouquet qu’il faut compresser, de mes mails qui vont partout, de la télé, du net, du souffle de la vie qu’on ne maîtrise pas, de la musique qu’on écoute, de l’enfant qui prend un tabouret. Je raconte, je conte pour faire rêver, inventer, créer, je copie-colle, je corrige, je ris, j’écoute Daho, j’achète ses CD et je me dis que tout ça, tout ce flot, c’est moi, moi seul au centre et bientôt, peut-être, dans le cœur de tout le monde, petit fou, conteur de réalités volatiles, schizo-virus, électro-beatnik, qui parle, qui crie, qui rit, et qui respire dans la nuit numérique.
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Rendez-vous à la médecine du travail. Partout des femmes en talons hauts, qui claquent, qui frappent le sol comme un orchestre primate, un cours de percussion pour chimpanzés et moi à me retenir, à sentir mes pulsions machistes se tendre comme des arcs et je sais, je sais que ce n’est pas ça, mais c’est ça, la nuisance pédestre, la danse de leurs jambes, la projection de l’ombre d’une patiente qui dessine un visage démoniaque sur le plancher et je la fixe, mon cerveau collé à ce visage, à cette faille inhumaine et je ne pense plus qu’à ça, et heureusement le médecin est jeune et joli, ses mains, son stéthoscope qui passent sur mon cœur, ma jugulaire, mes poumons, je sens la pression sur mes côtes, sa voix qui tourne autour du mot « plastique », qui analyse mes défenses psychosomatiques face à la surcharge pondérale, ma tension au-dessus de 13 et moi à respirer, à sentir, à regarder le monde qui claque dehors. Quand je retourne à ma voiture, sous le seul drapeau arc-en-ciel de toute la ville, je souris, ou je tremble, ou les deux, avec ce mélange de désir, d’angoisse et de beauté qui reste collé sur mes yeux.
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L'odieux prince charmant.
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Cetusss sait être sérieux. Lorsqu'il va à la chasse à l'escargot, en ramène six kilos, qui seront mangés, décide d'en sauver cinq, les plus « beaux », pour monter un boy's band, Cetusss reste sérieux. Les animaux sont bien traités, Cetusss s'active en tant que promoteur de l'opération, et les fait tourner sur pellicule digitale. Lorsqu'ils ne sont pas à ruminer leur salade au fond du bocal, les membres du boy's band font des performances musclées et silencieuses, alliant grâce et ténacité. Cetusss est aussi l'heureux papa d'un bébé virtuel qui se nomme Elvisss. Rien à voir avec un tamagotshi, Elvisss est un bébé virtuel qui voyage virtuellement dans le monde entier, tout en s'imposant physiquement à nous... Il voyage sous la forme de sa propre représentation et ramène des photos souvenirs de ceux qui l'ont portés. Il ressemble encore à un être monocellulaire, légèrement éclaté sous une plaquette de microscope électronique à oscillation. Mais quoiqu'il en soit, Elvisss peut se retrouver sur qui voudra, sous différentes formes : tee-shirts, marcels, espadrilles, culottes, slips, boxer shorts... il suffit de respecter le protocole édicté par l'artiste, disponible au Condominium. -- Extrait du site de la galerie Le Condominium de Christophe Wlaeminck.