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Je suis complètement fasciné par ce jeu, perdu dans cette grande maison pour adultes handicapés où chaque pièce porte le nom et l’époque d’un président américain. Je dois trouver un trésor, résoudre des énigmes, suivre des indices. Parfois, les résidents m’aident, apparaissent ou disparaissent, m’indiquent un chemin ou un détour. Je me retrouve dans une chambre Lincoln, murs mauves, moulures en plâtre partout. Mon pas résonne sur le sol. Je m’avance vers une table dressée. Chaque assiette contient de la purée, parfaitement immobile. Au milieu, une énigme : pourquoi aucune tranche de jambon à côté de chaque part de purée ? Je tourne autour de la table, réfléchis, joue avec les fantômes des résidents, amusé et consterné à la fois. Puis le réveil me tire brutalement du rêve. Le goût de purée, le mauve des murs et le mystère du jambon restent collés sur ma peau, dans mes yeux et dans mon souffle.
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Le plat de ma main contre le plat de son ventre, mes lèvres frôlent les bords de son gland. J’aspire un peu. À ses hanches, mes mains se ventousent à la sueur, index mobiles seuls. Je plonge, touche du front le nombril, la verge entrée en moi, savoure le soupir de mon prénom qui s’échappe dans la buée. Rien que pour moi. Tremblement de terre, acharnement à vivre et jouir chaque seconde. Je tombe amoureux. Poursuite automobile de nuit. Un lit sur la bande d’arrêt d’urgence, cent mètres avant un rétrécissement de la chaussée. Illuminations des travaux, danger clignotant. Un couple de mecs dort profondément. Ben se glisse parmi eux, nu. Le couple remue lentement. Invitation à le rejoindre. Nous faisons l’amour, les deux paires côte à côte, l’autre n’existant qu’en image. Près du miroir, toutes les lumières dans les yeux de Ben. Je me réveille.
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Je me réveille en pleine nuit, un mal vif, piquant à la main gauche, pourtant je ne me souviens pas d’avoir caressé des orties la veille. Une vague assurance m’envahit : j’étais prévenu depuis longtemps de cette horreur. La paume de ma main, verte comme une feuille de rosier, est couverte de petites pousses de menthe ; des centaines de pointes vertes recouvrent ma peau, comme autant de lames de cutter. Je suis enceinte de deux garçons. Je ne supporte pas l’idée de les faire naître porteurs de mon mal, ni de les transformer en curiosités médiatiques de laboratoire au sang mauvais. Je décide publiquement de mettre fin à mes jours. Toutes les télévisions du monde retransmettent des images du dessus de la mer : un homme lévite, yeux fermés, enrobé de bandages et d’une longue chemise blanche. Pixélisation de la retransmission, vent dans ses boucles noires. Son poignet se lève au-dessus de sa poitrine et plante, aussi vivement que dans un manga, la lame d’un poignard antique dans un cœur gorgé de roses. Je me réveille, étonné, inquiet, mort de soif.
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PARABELLUM - Jérôme Le Goff. Le Petit Larousse illustré, 1990. PARABELLUM [parab_ll_m] n.m. ... autrefois..., et maintenant ? À la beauté ce qu'est le paratonnerre à l'éclair ? PARABELLUM [parab_ll_m] n.m. est une collection de poèmes dermiques, oscillant entre une gravité historique rendue anecdotique et des exercices d'habitation en nos propres corps. Jérôme LE GOFF ne veut pas faire rire, certainement moins le contraire. PARABELLUM [parab_ll_m] n.m. sur fond noir (luxueux emballage) où les corps deviennent divers signes de ponctuations, Jérôme LE GOFF est le passeur d'un chapitre à l'autre. Il accompagne chaque personne entre le mouvement grotesque et la performance filmée. Toutes ces actions prétextent une diversion de la nudité, à laquelle nous nous surprenons de nous habituer. Le corps nu s'abstiendrait-il de parler de sexe ? Parabellum est la parade décalée de l'être déshabillé, déballé, naïf, dépouillé, idiot, animal, léger, innocent, nu... sans exhibition. Vers l'autre ou vers soi-même, PARABELLUM [parab_ll_m] n.m. parle d'amour.
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Je vais à la rencontre de ma sœur, pour lui raconter le rêve que je viens de faire d’elle, je la trouve assise sur un rondin de bois dans une rue sableuse du Maroc devant une porte bleue, je la regarde, j’ai rêvé de toi cette nuit, ah bon, oui, tu étais nue, une guêpe se posait sur ton sexe, un triangle de peau lisse, sans poil, la bestiole te pique et je me réveille, tu étais assise au même endroit où nous parlons maintenant, c’est étrange, pourquoi étais‑je nue, je n’en sais rien, par contre je peux expliquer un peu tout ce que ça peut vouloir dire, je t’écoute, tu es pure dans mon rêve, nue sans poil, je t’idéalise, c’est évident, une marque de très grand respect, en même temps je rêve de toi, mon cerveau a matérialisé la partie de moi qui est toi et là je ne sais plus qui tu es dans mon cerveau, une qualité je présume, hi hi hi, la piqûre c’est forcément sexuel, là je suis perplexe, moi aussi, deux personnes s’aiment, manque de bol elles sont de la même famille, ça ne me choque pas mais je ne te désire pas charnellement Julia, puis ce n’est qu’un rêve, cela veut certainement dire que je t’aime plus que beaucoup, ce qui ne m’étonne pas, ou que j’aime plus que beaucoup la partie de moi qui me fait penser à toi, ce qui m’étonne encore moins, hi hi hi, tu rêves beaucoup de guêpes en ce moment, d’abeilles, de ruches, de miel, oui je ne sais pas ce qui m’arrive, il fait chaud, la scène se fige tel un tableau, nous avons fini de converser, je me réveille.
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Ça y est, tu embarques, petit poisson bleu. On te dit que rien n'est gagné, mais tu es heureux dans ce navire « King ». Un nouveau bateau. Tu t'es réveillé un matin, déjà posé sur le pont ! Tu arrives enfin à lire la signalisation de ton chemin sans aucune peur. La mer jusqu'à l'infini. Chanceux, le capitaine t'aime... Ton ange roi, chef des pirates. I'd like to fly to youuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuu.
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Après le miel et les abeilles, Mallaury Nataf est une performeuse, une poupée post-cocaïnofemelle pure et forte comme un vent au sommet du Mont Blanc, elle fait tout pour l’art, perruque rouge, elle sent le sang comme la peinture rouge que mangent mes escargots, des enfants tout autour d’elle, le côté du fruit contre la grille blanche plastique du réfrigérateur, le côté qui verdit, une abeille est venue se poser sur un des bois de ma porte-fenêtre, le signe du printemps, peut-être le retour de mes guêpes, j’ai en tête le scripte de projets à performances dangereuses, confiance.
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Aurai‑je la chance de vous séduire bientôt, me laisserez‑vous une chance, je vous propose de n’être qu’une ombre dans la nuit de jeudi à vendredi, quelle que soit l’heure je passerai la porte du bas avec votre clé, puis je monterai doucement pour ne pas effrayer vos voisins, un pack d’eau sous le bras s’il le faut, j’entrerai ensuite par la porte que vous aurez laissée verrou ouverte, je fermerai derrière moi, j’ôterai mes chaussures devant votre cuisine, j’irai sur la pointe des chaussettes me déshabiller à la salle de bains, puis je me glisserai près de vous endormi, juste pour nous réveiller, les bras de l’un croisant ceux de l’autre.
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Je voulais commencer ce chapitre par le titre d’un téléfilm, navet américain passé il y a une dizaine d’années, un soir de grande solitude, je ne sais pas pourquoi : j’hésite à le nommer, le cliché, peut-être, bref, je pensais à lui, comme un souvenir remontant à la surface de ma matière grise, je m’étonne toujours d’être parasité par ce genre de détails inutiles. Un groupe de gens en pleine campagne du Nord, pas de plat pays pourtant à cause du brouillard, « Randonnée tragique », même pas vraie, je ne saurais pas dire si nous étions contents d’être là, ou pire, d’être ensemble, temps maussade, peut-être tous inconnus les uns des autres. Enfin, pas le temps de creuser la situation : l’action molle se fond sur nous, nous sommes enfermés dans un village désert, pas un pékin, la forêt tout autour, des chemins… mais pas moyen d’en sortir, aussitôt ce village traversé, nous nous retrouvons face à lui, on fouille, tout et rien, pour trouver de quoi communiquer un S.O.S. vers l’extérieur, dur, sans retour. Et je sais que quelque chose ou quelqu’un nous envoie les incarnations de personnages mystiques : le loup, le chasseur, la sorcière… peut-être même Freddy Kruger, ça lui ressemble tellement, après une ellipse qui m’évite de psychoser les longs crachins, les rails de sueur, le black‑out synthétique, rien de racontable, pour la bonne raison que je m’en souviens plus. Deux amies nous cherchent de villages en villages à bord d’une deux‑chevaux orange, pas fatiguées de leurs recherches infructueuses, elles nous croisent sur un des chemins du bled-prison dont on ne sait même pas le nom, chouette, elles nous ont retrouvé, mais je me réveille avec l’incertitude suivante : ne seraient-elles pas prises au piège avec nous ? Le réveil sonne, j’ai la tête dans le cul, grave.
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Une piqûre sans autorisation d'être filmée pour des raisons débiles. Quatre jours d'attente paranoïaque et pessimiste. Je l'aime. Séronégatif.