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Une semaine qu'elle est ici et Scoubidou vient de la casser. Alles kaput. Elle me suit depuis plus de dix ans, elle est allée de Lauwin-planque à Valenciennes, à Nîmes, pour finir sa vie à Genève. Cette petite télévision Radiola m'avait été offerte un Noël par un pédophile. Je considère que son fantôme part avec la fumée puante du tube cathodique, dans une benne suisse, une benne de vieux rentrée bruyamment dans le noir d'un samedi, 7h13 hivernal.

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Après avoir ôté la mousse déposée sur ma tête, mousse qui devait simplement me décolorer, je me retrouve avec une crête aux mèches rose-malabar. Je ne me souviens de rien d'autre.

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Des vieux sur une motte de terre brune. Tous assis de bas en haut, formant deux rangs irréguliers. J'escalade entre eux, parcourant l'allée gériatrique avec un sac très lourd dans le dos. Je venais de descendre d'un bus en marche, un autobus genevois orange tiré par un tracteur. Je sautais en marche et me prenais un peu l'avant du véhicule dans les talons, comme le ferrait un caddie de supermarché. Bref : je monte l'escalier le plus vieux du monde, n'hésitant pas à souhaiter le bonjour aux personnes que je reconnais, ma grand-mère, mon parrain... et quelques autres momies. De là haut, j'abandonne sac et vêtements lourds, peut-être seulement les chaussures, pour traverser, glisser au-dessus du vide, une mince couche de branchages, d'arbustes et de pierres. Je ne tombe pas, j'ai très peur. J'arrive de l'autre côté, debout, à moitié dans l'eau qui commence à dissoudre mes vêtements. Des poissons rouges. Je me souviens que j'ai oublié mon appareil numérique dans la poche de mon manteau, poche sous le niveau du jus. Je le sors, ressens, à tort, un peu de panique pour constater le travail qu'il a effectué seul. Des images très nettes des poissons rouges. Gros poissons. Parmi les vieux et le bord de l'eau, braille un enfant qui demande vulgairement, lourdement de l'attention. Je demande à ce qu'il veuille bien fermer la gueule et aux vieux de l'y aider. L'enfant me jalouse l'attrait d'une otarie, habillée d'un jouet : une combinaison au caoutchouc coloré, clown. Je parle à cette dernière comme à un chiot, pour jouer d'abord, puis juste pour qu'elle s'approche de moi. Je suis fort content de la voir venir, intriguée. Elle se déshabille et s'avance plus près. Je la trouve belle, fine, noire et jeune à la truffe humide d'une bonne santé. Je suis nu, maintenant, ne vois plus l'otarie mais les gros poissons rouges tout autour. Plus je les repousse, plus ils se collent et... m'aspirent. Suçons sur suçons. Leur bouche ouverte toute grande contre la peau. Des centaines. Je me réveille, très désorienté.

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Un essaim dans une boîte en plastique. Cette boîte contenait des graines de céréales et apparemment des larves de ces mouches rouges qui s'affolent. J'ouvre le couvercle. Elles s'échappent mais me sautent dessus et me piquent. Je me réveille.

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Richard et moi sommes sur un radeau, ou dans une grande barque. L'océan est calme et le temps est magnifique. Nous sommes face aux côtes portugaises et le soleil impose sa présence en nous assommant d'un silence absolu. Pas de son, pas même celui de l'eau contre les bords de notre embarcation. Un curieux manège s'opère sur les plages du Portugal : des autobus bleus apparaissent puis filent à la vitesse de l'éclair, vers le sud et vers le haut. Je sais que ceux sont des avions, mais nous voyons des autobus bleus. Autocollants Hollywood. Nous supposons qu'ils font le plein de passagers avant de s'envoler. Après avoir compris cela, Richard et moi nous retrouvons sur un porte-avions, ou une plate-forme immense et quelconque. Nous désirons monter à bord du dernier bus apparu. Je monte le premier pendant que Richard parle à un type, peut-être celui qui tient la paire de raquettes vertes et rouges, mais je suis incapable de savoir le nom de ce métier. L'avion ferme ses portes et avance, Richard n'est pas à son bord, et le pilote non plus. Je sais à ce moment-là que Richard devait être le pilote de cet avion qui accélère vers le bord de la piste, vers le court vide et l'océan. Personne ne s'inquiète à bord, je m'assure de la destination en demandant si nous allons au Portugal ou au Brésil. Une main se lève au fond du car et m'indique en portugais qu'il s'agit des deux destinations. Je suis assis devant, à droite, près d'une fenêtre et décide d'allonger le bras et de poser quelques doigts sur la manette faisant ainsi lever les ailerons et décoller l'avion (et me sauver la vie ainsi que celle des autres passagers). Je vis tout le décollage vibrant et admire le soleil dans les reflets de l'océan parcouru à la vitesse qu'ont ces appareils au décollage. Une fois dans le ciel, je passe une annonce aux passagers pour demander s'il n'y a pas un pilote parmi eux, car je saurai suivre la ligne de vol, mais serai sûrement fatigué une fois à Rio pour l'atterrissage. Je me demande aussi à quelle hauteur je dois voler pour ne croiser aucun autre appareil et je me réveille.

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Corps entièrement bleu. Je défile le 1er mai à Nîmes, peau tendue, maquillage cru, yeux rivés sur le pavé, bras qui vibrent avec la foule. Moi, censé être « Différence », j’apprends que je suis « Maladie ». Pas un mot de mon choix, pas une couleur qui me protège. Et là, en marchant, en sentant le vent sur ma peau tatouée de pigments froids, je comprends que l’intolérance n’est pas un dehors, un ennemi lointain. Elle coule déjà dans nos veines, infiltrée dans les chants, les drapeaux, les sourires forcés, l’accolade obligatoire. LGBTIQA, je découvre ce jour-là, ne garantit ni inclusion, ni bienveillance. Juste le mélange amer du visible et du refus. Je reste bleu, je reste debout, mais je sens la veine qui bat et l’ombre de la haine qui circule parmi nous, malheureusement.

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Nous visitons un gigantesque hôpital. Des couloirs, des blouses, des patients, des handicapés. On doit certainement nous faire un peu d'historique et la description des locaux, les méthodes utilisées, la politique de l'établissement, l'accompagnement, les soins palliatifs, bla, bla, bla... mais je n'écoute pas. Je me laisse avancer parmi le groupe. Je suis fasciné par l'espace. Nous entrons dans un ascenseur très grand (aussi haut que large, une pièce entière) nous sommes éparpillés dans ce local mobile lorsque qu'une nuée de fauteuils roulants sportifs se joint à nous. L'ascenseur se met en route silencieusement et se déplace lentement. Nous descendons. Un éducateur demande aux jeunes de se présenter. Je suis à côté d'une jeune homme sans main, tout le reste est ok. Il me tend la main et me demande mon prénom. Il le trouve joli (me drague?) et s'appelle Sébastien. Puis l'éducateur leur demande de trouver un peigne ou une brosse et de "coiffer leur rencontre"... Ce que fait Sébastien sans cacher que me toucher le fait rougir. Je réponds à ses avances silencieuses, le rassure. Nous passons la nuit ensemble, il s'énerve de ce qu'il aimerait me faire avec des mains. Je lui dis et lui montre qu'il peut jouir et me faire jouir avec qui il est. Il est bien foutu, s'allonge, le dos sur mon ventre et je le caresse. P'tit passage poétique où mes mains deviennent les siennes. Je me réveille. Je suis intimement convaincu que j'étais ce jeune homme.

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Concevoir l’exposition : pédophilie. Partir de la racine : « amour de l’enfant ». Hors perversion, hors fantasme, revenir au tremblement, à la fragilité, à l’élan vital de l’enfance. Pour moi, victime, chaque image, chaque objet, chaque geste devient catharsis : traverser la douleur, sentir le vertige de l’intime, exorciser le traumatisme par l’intensité du regard. Je me suis longtemps questionné sur mon identité à cause de ce qu’il m’est arrivé, perdu dans le miroir de soi et de l’autre, cherchant des repères dans les décombres de l’enfance. Couleurs floues, sons de jeux d’enfants, mains ouvertes vers le monde. L’exposition n’invite pas à la fascination morbide mais à la purification par l’art, à l’expérience du corps et de la mémoire, au sentiment brut d’amour, de peur et de résilience.

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Tigres féroces dans le jardin de l'abbaye. Il fait presque nuit et le chat griffe le tigre qui m'accompagne. Le chat féroce, le tigre blessé coupable et moi, le tigre innocent. J'aurai dû me lever cette nuit pour écrire ce rêve, parce que je ne sais plus rien de la suite. Richard m'a rapporté ce que j'ai dit, dans mon sommeil : « Un gros tigre, Rrrrrrrrrrrrrrooooaaaaa ». Nous irons au Museum dans l'après-midi qui suit.

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Il me manque un rêve. J'étais persuadé de l'avoir rangé, ici, mais je ne le trouve nulle part, pas même dans un de mes cahiers intermédiaires. Je me demande alors si je n'ai pas aussi rêvé que je l'inscrivais dans cette nécropole. Je perds la limite une fois de plus. Cela ne m'étonne pas, me fait seulement peur. C'est l'hiver et je n'ai croisé de guêpes qu'au Musée d'art naturel, toutes épinglées, il y a de cela une semaine.